Création 2027

Théâtre-paysage incliné

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Texte et mise en scène Alexandre Koutchevsky
Avec Charline Grand, Marina Keltchewsky, Élios Noël

Première résidence d’exploration à l'ÉCLAT du 26 au 29 mars 2024.
Avec le soutien à la création de l'ÉCLAT - Centre National des Arts de la Rue et de l'Espace Public - Aurillac

 

un angle souvent rencontré

Depuis 2006, en pratiquant notre théâtre-paysage, il est fréquemment arrivé que l’on se retrouve à jouer sur des pentes. À commencer par celles des bunkers, sur et autour desquels nous avons représenté la pièce Blockhaus1, dont la première version date de juin 2006. Pentes architecturales donc, pentes de béton armé, rugueuses, vestiges de toits inclinés aux couvertures disparues2.

Ça s’écrit T-C-H en 2017 dans des clairières et prairies, puis Rivages en 2021 sur des dunes maritimes, nous ont offert comme terrains de jeu d’autres pentes, naturelles cette fois, inclinaisons d’herbe, de feuilles, de terre, de sable, d’épines de pins, de pierres.Lors de ces diverses créations, nous avons expérimenté des manières de jouer avec les déclivités, mais sans jamais faire de ces dernières un objet de travail en soi pour le théâtre-paysage.Quand Frédéric Rémy (CNAREP Éclat) m’a proposé de venir travailler à Aurillac, me sont alors revenues naturellement ces nombreuses rencontres avec des pentes au fil de nos spectacles. Nous avons donc mis en place une première résidence en mars 2024 dans les paysages d’Aurillac.

 

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Sortie de residence Lumi ère daoût 2024 20

CE QUE DIT LA PENTE

Gravir, grimper, descendre, rouler, glisser, monter, chuter, dévaler, haut, bas… J’aime l’idée que les images induites par la pente sont nombreuses, stimulantes car énergiques. Peut-être parce qu’à l’image du courant électrique ou du cours d’eau, la pente implique une différence de potentiel, et, par conséquent, une mise en mouvement, un jeu de forces.

Qu’on la grimpe, qu’on la descende, ou l’arpente en suivant une de ses courbes de niveau, la pente réclame toujours un effort du corps. Effort évident quand on la grimpe, effort de contrôle de la vitesse et du freinage quand on la descend, effort d’accordage de la hauteur des jambes quand on suit une de ses courbes de niveau.

 

Parce qu’elle relie le « haut » et le « bas », la pente est également une formidable machine à concepts. La religion, la morale, et plus globalement la passion humaine pour la hiérarchisation, ne s’y sont pas trompées : remonter la pente, être sur une mauvaise pente, avoir des hauts et des bas, monter au ciel, la Pentecôte1, l’Ascension, descendre en enfer, monter en grade, descendre dans le classement, atteindre le sommet, tenir le haut du pavé, déchoir... on n’en finirait pas d’épuiser le champ lexical du haut et du bas, deux endroits souvent reliés par une pente. S’attaquer à cette frénésie de la hiérarchisation dans un paysage de pente, constitue une entrée particulièrement stimulante. J’y pressens un formidable outil à la fois poétique, ludique et réflexif.

 

UN PEU DE PHYSIQUE

La pente possède le mérite de nous offrir une alternative au saut dans le vide pour éprouver la loi de la gravitation universelle. Les efforts qu’elle nous impose pour la gravir, la vitesse qu’elle nous fait prendre quand on la descend, nous font connaître plus intimement le graviton, cette particule élémentaire qui transmettrait la gravité, prévue dans la plupart des systèmes de gravité quantique mais non encore découverte.

Se déplacer dans une pente, c’est expérimenter la loi de la gravitation qui nous relie à la planète Terre, la même qui relie celle-ci au soleil, et celui-ci au trou noir central de notre galaxie. Se déplacer dans une pente c’est ressentir notre condition de petite masse au sein de l’univers.

À Aurillac, nous avons donc commencé par nous intéresser de près à la loi de la chute des corps, qui a occupé bon nombre de physiciens d’Aristote à Einstein en passant par Galilée et Newton.

Il m’a semblé que nous devions être intimement convaincus que notre corps roule dans la pente comme la Lune autour de la Terre, en suivant la courbure de l’espace-temps, pour commencer le travail.

 

trois interprètes

J’ai proposé à Charline Grand, Marina Keltchewsky et Élios Noël, de venir partager avec moi cette aventure pentue. Tous les trois sont de fidèles partenaires des créations de théâtre-paysage depuis les débuts. Nous avons inventé ensemble une bonne part du vocabulaire qui nourrit la fabrication de nos spectacles. Mais il se trouve également qu’ils ont aussi, chacune et chacun à leur manière, un rapport fort à la montagne, et donc une histoire avec les pentes, que ce soit parce qu’ils habitent en région montagneuse ou parce qu’ils y marchent très régulièrement.

Il est fort possible qu’au fil du travail nous éprouvions la nécessité d’inviter dans ce projet une quatrième personne : quelqu’un peut-être d’un autre champ artistique, comme la danse, le cirque ou autre. Quelqu’un qui nous apporte un autre rapport à la pente. Mais il est aussi possible que cette quatrième personne soit scientifique, géographe, parapentiste…

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QUELQUES MOTS DES INTERPRÈTES SUR LA PENTE

Élios Noël « Ça dépend d’où tu regardes, le vertige ou l’ivresse de continuer à monter et de voir jusqu’où tu peux voir. C’est un peu inquiétant, ce qui y tombe prend une vitesse folle, c’est pas le vide, c’est plus précaire, moins absolu. Plus tendancieux. Ça épuise aussi, casse les pattes. La monter sans trop souffrir c’est aussi prendre chaque pas pour ce qu’il est, et oublier pour un temps ce qu’il y a en haut. C’est la vue. c’est le bonheur de regarder au loin avec le cœur qui bat encore vite, c’est un intermédiaire entre marcher et grimper. »

 

Marina Keltchewsky « Une pente n’offre pas beaucoup d’autres possibilités que de la regarder. Si tu ne la regardes pas, tu ne regardes pas tes pieds, et si tu ne regardes pas tes pieds, tu tombes. Bon il existe des pentes douces c’est vrai, et l’été peut aussi être en pente douce, c’est un joli titre que je n’ai jamais bien compris. »

 

Charline Grand « La pente permet de se décaler du sol. La pente est douce sinon c’est un gouffre, un trou. La pente est un chemin vers un autre terrain, elle permet d’atteindre quelque part, elle est un entre-monde. Peut-on stationner sur une pente ? Sur cet entre-monde ?

Je pense aux pyramides, au dos d’une baleine, aux gradins d’un théâtre aussi. Je pense aux sherpas, peuple du Népal, qui fournissent guides et porteurs aux expéditions d’alpinistes dans l’Himalaya. Je pense aux personnes migrantes aussi, qui gravissent la frontière italo-française. »

 

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1- La première version de Blockhaus, pièce courte, date de 2006, la seconde, pièce longue, de 2014.

2- Les bunkers étaient généralement camouflés sous de faux toits de paille pour faire croire à des fermes, ou des tentures de masquage, de manière à les rendre difficilement perceptibles par les aviateurs.

3- J’avoue que la « Pentecôte » me plaît beaucoup : quel est cet étrange redoublement du dénivelé au sein d’un même mot ?