Création 2026
Texte et mise en scène Alexandre Koutchevsky
Avec Charline Grand, Olga Mouak, Richard Sammut

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Comment saisir ce qui a disparu ici ?
Que nous disent aujourd’hui ces friches enfantômes de la Révolution industrielle ?
Comment faire théâtre de ces points d’aboutissements occidentaux ?

 usine

 

CE MÉLANGE D’ADIEU ET D’AUJOURD’HUI

En arpentant le carreau de mine abandonné de Culture Commune, à Loos-en-Gohelle, en observant ces chevalements d’extraction devenus silencieux, et plus tard en cheminant sur d’autres sites de friches industrielles, le sentiment que « quelque chose ici a eu lieu » s’est imposé.
Ici, il y avait des gens affairés au labeur.

Il y avait une usine, une mine, une industrie, une manufacture, un site d’extraction ou de production.
Il n’y en a plus. Ou alors des traces.
Cette zone de labeur a régenté la vie de milliers de gens pendant une ou plusieurs générations. Elle a créé les habitations pour loger gros bras et petites mains, d’abord importés de la campagne environnante puis des régions voisines, souvent de pays proches ou lointains.

Elle a créé ses ramifications dans le paysage, comme un arbre étend ses racines : routes, rails, canaux.
Elle a parfois modifié durablement le paysage comme un pavé jeté dans un lac qui propage ses ondes.

Cette zone de labeur a créé une culture et une histoire commune.

La friche comme zone de rencontres

J’ai intitulé une des résidences, que j'ai effectuées à Culture Commune entre 2020 et 2023, « Vous qui passez par là ». Pendant une semaine, j’étais installé sous une tente et accueillais les personnes qui passaient sur le parvis de la base 11/19. Travailleurs des entreprises du site, de la chaîne des terrils, habitants, en chemin pour leurs courses et activités, promeneurs, touristes, responsables de l’Unesco... j’ai pu m’entretenir avec une trentaine de personnes qui venaient s’asseoir un moment avec moi pour partager un thé ou un café. À chacune et chacun je demandais : « que faites-vous ici, vous qui passez par là ? » La conversation s’engageait. C’est ainsi toute une galerie de personnages qui est apparue : la responsable de l’Unesco qui ne peut suivre la visite guidée en haut des terrils à cause de son mal de dos, le grand connaisseur de l’écosystème des terrils, le peintre en bâtiment retraité, l’ancien installateur de télévisions chez les mineurs silicosés, la randonneuse des terrils, la voisine qui promène son chien et s’occupe de son père ancien mineur, la doctorante spécialiste des rotondes SNCF, le quarantenaire à vélo électrique, la mère de famille qui pousse son chariot jusqu’au supermarché, etc.

Ces vivants qui traversent ce paysage de signes d’adieu constituent pour moi le second impulseur sensible né de mes temps de résidence à Culture Commune.
Qui passe par là ?
Qui vit ici ou à côté ?
Qui travaille là ?
Et comment ce passé surplombant traverse t-il les gens qui passent par là ?

carreau 

 

DISTANCES ET FRAGILITÉ : QUELQUES INVARIANTS

Un des enjeux du théâtre-paysage, c’est de s’articuler avec force à chaque nouveau site de représentation. Un ancien carreau de mine comme Loos-en-Gohelle ne présente pas le même paysage que l’ancienne manufacture des tabacs à Morlaix ou que d’autres sites dans lesquels se déroulera le spectacle.

Mais on retrouve un certain nombre d’invariants sur lesquels peut s’appuyer la mise en scène, comme les grandes distances, les perspectives, les murs anciens ou encore les traces des machines.
Ce gigantisme ainsi que l’âpreté des matériaux propres à l’industrie, m’intéressent particulièrement dans le travail de mise en scène car ils mettent en exergue la fragilité du corps des interprètes. Mais simultanément ils provoquent eux aussi ce sentiment d’une troublante solitude : où sont les humains qui les ont bâties, ces usines, ces sites d’extraction ou de production, qui les ont fait vivre, qui ont su en tirer parti, qui ont travaillé ici ? Aujourd’hui, désaffectés, dépeuplés, ces volumes et distances immenses, ces matériaux tendus vers leur effritement, laissent apparaître leur fragilité.

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EXTRAIT DE TEXTE

... écrit lors d’une résidence à Culture Commune en avril 2023.

Le dernier mineur
- A : Le dernier mineur, Richard S., avec qui nous avons longuement parlé sur le parking ensoleillé de l’Intermarché de Loos-en-Gohelle, nous a dit que la première fois qu’il est descendu, quand la cage s’est élancée vers le fond à plus de 12 mètres par seconde, il a eu l’impression qu’en lui tout remontait, que son cœur allait sortir de sa bouche.

- B : Et quand il est remonté, à la même vitesse, quelques heures plus tard, ce fut l’inverse, ses organes se précipitèrent vers le bas.
- A : Quand il descend, son cœur veut s’échapper de sa poitrine pour rester en haut, à l’air libre, à la surface, comme s’il savait qu’il pouvait y rester, au fond, son cœur, ne jamais en revenir.

- B : Mais quand il remonte c’est l’inverse, c’est comme si son cœur voulait rester au fond, qu’il était triste de quitter ce monde souterrain.
- A : Tandis qu’il finissait de ranger ses courses dans son coffre, Richard S. ne nous a pas dit que la dernière fois qu’il est remonté, son cœur est définitivement resté au fond.

- B : Mais nous l’avons entendu dans sa voix.
- A : Ce jour où l’eau a envahi le puits et les galeries,
- B : où le béton a clôturé les ouvertures en surface,
- A : ce jour-là, des milliers de cœurs de mineurs sont restés en bas pour toujours.
- B : Richard S. nous a salués,
- A : est remonté dans sa voiture,
- B : a disparu dans la campagne.
- A : Sur le parking de l’Intermarché de Loos-en-Gohelle, nous nous sommes demandés
- B : Qu’allons-nous faire de tous ces cœurs de mineurs sous nos pieds ?