Du 22 février au 15 mars 2011, Aristide Tarnagda, auteur burkinabé, est en résidence à Saint-Jacques de la Lande, invité par Lumière d'août. Accueilli par des collectifs d'habitants des trois quartiers de Saint-Jacques, il découvre leurs paysages, arpente, rencontre, discute, anime des ateliers. Cette résidence s'inscrit dans le cadre du projet Ciel dans la ville Afrique/France qui sera créé tout autour de l'aéroport de Rennes du 5 au 8 juillet en partenariat avec le théâtre de l'Aire Libre et le festival Les Tombées de la nuit.

S'inspirant de son séjour à Saint-Jacques, Aristide Tarnagda écrira un texte qui sera mis en scène dans ce spectacle déambulatoire à ciel ouvert, en juillet prochain. Le texte d'Aristide sera probablement joué dans un jardin jacquolandin. En ce moment, avec Aristide, nous entrons chez les habitants qui nous ouvrent leur jardin. Nous écoutons, regardons, sentons les paysages, à la recherche du juste lieu, de celui qui nous parlera pour y faire théâtre-paysage.
 

Une lecture de textes d'Aristide Tarnagda a eu lieu le lundi 14 mars 2011 à 19h à l'Aire Libre, en clôture de sa résidence (entrée libre et gratuite).

 

Textes des ateliers d'écriture menés par Aristide Tarnagda

Accessibles ici


Journal d'Aristide Tarnagda

 

 

 

Mardi 8 mars / Terre fin de terre

Où es-tu mon vieux père ?
Moi je rentre de
Fouesnant
Terre d’Alexandre
Terre fin de la terre
Terre début du calme
Terre chant des oiseaux
Terre portant l’enfance d’Alexandre
Avant de m’emmener chez ses parents
Nous allons dire bonjour à la mer
Comme pour lui demander de veiller sur nous
Et nous allons enfin dans l’enfance d’Alexandre
Rien à dire
Tout transpire et respire du Alexandre
A commencer par le père
Patrice
Dont l’amour pour le fils ne cesse de luire sur son visage
Patrice le peintre
Qui immortalise la beauté au dessus de sa maison
Son atelier comme il dit
L’atelier où lui et moi avons fumé et bu du café
L’atelier où les habilités de ses mains nous écoutaient
L’écoutaient
M’écoutaient l’écouter parler sagement
Intelligemment
Posément
Et je compris le sens de tel père tel fils
Et la mère
La mère proche de la mer
La mère comme le père qui donne envie d’avoir une telle mère
L’amour du fils git sur son visage
La joie de m’accueillir aussi
Je me sens bien
Je ne suis même pas dans ma tête comme généralement
Je suis là avec eux
Admirant cette famille
Et la sœur enfin
Sophie
Sophia
La benjamine
Qui me rappelle ta benjamine
Margot
Bouillante
Speed
L’est des ainés
Nous sommes à table maintenant
Des fruits de mer
Je me régale
Puis nous passons à ce que tu aimes
Les cartes
Pas la belote
Non
Un jeu russe
Passionnant
L’idiot ça s’appelle
J’ai oublié le nom en russe
C’est pourtant plus beau en russe
Je te l’apprendrai quand on va se retrouver
C’est promis
Tu verras on ne s’ennuiera pas
Je ne puis m’empêcher de penser à toi
Toi mon père parti
Étais là
Me vouvoyant
Et c’était étrange
Et j’étais gêné
Comment te dire que je suis le fils et que c’est à moi de te vouvoyer
Mais on est en France
Autres mœurs
Les enfants tutoient les adultes
Les enfants se permettent de crier sur les adultes
Les enfants sont infantilisés
Surprotégés
Les élèves boudent les enseignants
Et tout ça est drôle
Tout ça est étrange pour moi qui m’accroupis pour te saluer
Pour moi qui débarrasse la table quand tu finis de manger
Pour moi qui croisais les bras pour saluer le maitre
Pour moi qui appelle tous mes enseignants monsieur
Mais tout ça est drôle et plein d’amour
Chez nous comme ici
Et c’est l’amour le fondamental
Oui mon vieux
Je t’aime
A jamais
Je voudrais que tu sois là
À jouer aux cartes avec nous
Au bord de la mer de Fouesnant
Parce que les parents d’Alexandre voudraient que je revienne dans l’enfance d’Alexandre
Et moi je voudrais revenir dans l’enfance d’Alexandre
Tu viendras un jour jouer avec nous n’est-ce pas ?
On s’est embrassé et on s’est dit qu’on se retrouve bientôt
Et Alexandre et moi nous sommes partis de son enfance
J’ai dormi comme quand on venait
Pas que je m’ennuyais
Non
J’avais trop de boite de nuit dans les yeux
Oui je suis bandit je le sais
Mais cette fois-ci c’était pas ma faute
C’est la faute à un gros connard raciste
Parce que tu vois, c’est ça le paradoxe de la France
Comme tous les pays du monde je crois
Mais la France c’est quand même particulier
Mais pour un pays super méga recordman des droits de l’homme mon cul, c’est embêtant de se faire chier tout le temps
Y a toujours un gros connard qui te rappelle
Que t’es noir comme si tu ne te voyais pas toi-même
Que t’es un africain
Pas comme les arabes ou les berbères ou je ne sais quoi
Que vous les africains, vous les black, vous êtes gentils, vous dansez bien
Et ce soir là, alors qu’on était dans ce bar à papoter, à boire la bière, et à écouter le gitan noir chanter, t’as un gros connard bourré qui vient me faire chier avec sa gueule pleine de bière et sa langue pissant du racisme dans mon visage
Et mon sang qui monte qui monte qui monte
Malgré le sourire nerveux sur mon visage
Tu me connais
Je ne sais pas m’énerver qu’avec mon cœur et ma gueule comme les Français
Moi quand je m’énerve c’est tout le corps et il faut que ma main caresse une gueule
Et je te jure que j’étais prêt à lui en envoyer dans sa gueule de merde qui me stigmatisait
Nous stigmatisait
Comme si nous étions les fils de sa mère
Mais j’ai encore pensé à Alexandre
J’ai pensé à tous ces gens sympas que je venais de rencontrer et que je n’arrêtais pas de rencontrer
Et j’ai pensé qu’il avait ton âge même si c’était un vieux con qui au lieu de s’occuper de ses petits fils, passe son temps dans les bars à raconter des conneries
Et la Lionne avocate a surgi
Et je suis sorti fumer fumer fumer
Et on n’allait pas laisser un vieux connard nous pourrir la vie
Alors on a décidé avec la Lionne avocate et le Congo qui coule en France d’aller soigner la gueule de notre soirée dans la boite
La boite de nuit
La boite de nuit ivoirienne
Un taxi
Un mec sympa
Nous voici à la boite
De nouveau l’arnaque des vestiaires
De nouveau l’embrouille avec le loubard sénégalais qui ne veut pas que le Congo qui coule en France entre dans la boite de nuit ivoirienne en France avec sa casquette américaine
Bon, les emmerdes nous suivent ou quoi ?
Le France serait-elle qu’un pays d’emmerde ?
Et les Etiemble qui sont sympas ?
Et les Schuhmacher qui sont géniaux
Et Bernard et Lauriane qui sont disponibles
Et Agnès la maman des mamans ?
On entre quand même dans la boite.
Et on boit
Et on danse
Et on fume
Et on oublie
Et l’aube qui chasse la nuit
Et nos corps qui s’enlisent dans l’alcool dans la fatigue dans l’extase des envies des désirs fiévreux d’une fin de boite de nuit d’âmes solitaires qui s’attirent pour échapper à l’écrasante solitude et moi qui rejoins Alexandre pour le déjeuner chez ma nouvelle mère Agnès et le cidre et les galettes saucisses et Alexandre et moi dans la voiture de Flora la fille qui chante dans le ciel de Ouaga sur la route de l’enfance d’Alexandre
Tu comprends donc que je dorme quand on revient de l’enfance d’Alexandre et même quand on y va ?
Tu me comprends ?
C’est pas grave.
Je te raconte aujourd’hui
Aujourd’hui j’ai beaucoup pensé à toi
Comme tu le sais je suis toujours à St Jacques de la lande
Un nouveau ciel aujourd’hui à St Jaques de la Lande
Le soleil a chassé la pluie et le froid
Je peux bien penser à toi
Je peux espérer te voir
Te revoir après tant de jours que tu t’es absenté
Te revoir dans le ciel breton
Aujourd’hui je suis monté dans le ciel pour te voir
Je suis monté dans le ciel avec les Schuhmacher et avec Alexandre
Impressionnant
La mer vue du ciel
La mer et le ciel unis vus du ciel
Le bleu de la mer et le bleu du ciel unis vus du ciel
St Malo vu du ciel
Le café dans lequel Alexandre Marie Marina Marine Aristide ont bu vu du ciel
La trouille des Schuhmacher vue du ciel
La  sérénité d’Alexandre vue du ciel
Les autoroutes vues du ciel
Le ciel vu du ciel
Le mont st Michel vu du ciel
Absence
Ton absence
Dans le ciel
Vue du ciel
Pourtant je t’ai appelé plusieurs fois
Je t’ai espéré sur le mont st Michel
Je t’ai senti sur les ailes de l’avion piloté par Alexandre
Mais ton absence était
Impressionnante
Effrayante
Vue du ciel
Comme tu tardais à surgir du ciel
Nous sommes descendus
Les Schuhmacher
Heureuses
Impressionnées
Alexandre égal à lui-même
Moi plongé dans l’amertume
De ton absence
Ton vide en moi
Vu du ciel
Comme quand j’étais à Bamako quand tu es parti
Ce vide en moi cette nuit là quand on m’annonça ton départ à jamais
Je n’aime pas ton vide maintenant
Alors j’espère qu'en te racontant tout ça
Ton absence en moi mourra à jamais
Je serai plein de toi et toi plein de moi à jamais
Depuis quelques jours je suis chez
Agnès
Une autre mère qu’Alexandre m’a trouvé
La mère des mères
La disponibilité
L’amabilité
L’ouverture
L’attention
Le tonus
L’altruisme
L’amour
Bref,
L’humanité
Faite chaire et os
Depuis une semaine que je suis là
À oublier le vieux con de raciste qui nous a fait partir du bar où y avait le gitan noir
Je me sens chez moi
J’aime sa tendresse pour ses enfants
J’aime son énergie qui coule dans sa maison
J’aime son chéri
Jean-Yves
Un autre père qu’Alexandre m’a trouvé
Le mec qui me fait un cadeau pour lequel tu dois être jaloux j’en suis sûr !!!
Je savais que tu serais jaloux
Parce que L’Olympique de Marseille
C’est d’abord toi
J’ai piqué la passion de Marseille chez toi
Eh bien ! Jean-Yves me permet de voir Marseille jouer en live à Rennes
Tribune officielle s’il-te-plait
T’es jaloux hein !!!
C’est comme ça mon vieux
T’avais qu’à ne pas partir aussi tôt
T’avais qu’à te montrer tout à l’heure au ciel
T’a qu’à venir vendredi au stade
Je te cèderai ma place
Si tu acceptes de rester à jamais avec moi
Avec nous
Parce qu’on t’aime
Parce que tu nous manques mon vieux
Tu viendras mon vieux ?
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Lundi 7 mars 2011 / Saint-Jacques de la Lande

 
Saint Jacques de la Lande 
Il m’a trouvé
Une mère
Dominique
L’attention coule dans ses veines
L’engagement inonde ses yeux
Un Père
Fernand
Rire omniprésent qui cogne la gueule d’un ciel jacquolandin qui crache très souvent comme une femme enceinte
Tu diras aux étoiles de briller pour eux
Pour les Etiemble
Qui ont accueilli ton Aristide
C’est pas courant en France
D’accueillir les gens avec cette spontanéité
Cet enthousiasme
Ce don de soi angélique
Alors remercie-les d’avoir écarté l’hôtel sur mon chemin
Une semaine j’ai été chez eux
Rue de la croix verte
Belle maison en travaux
Dominique m’a même présenté à ses voisins
Les Schuhmacher
Nid de gentillesse
Nid de gaité
J’allais boire le café
Manger à l’improviste des pâtes italiennes
Fumer avec Élise
Une Schuhmacher qui fait corps avec les Palestiniens
J’ai bu du thé avec elle
J’ai bu du café avec elle
J’ai bu sa rage ma rage contre un monde pourri avec elle
Les nuits je fumais une cigarette devant la porte des Etiemble
Et je regardais le ciel
Espérant de voir
Espérant te faire un coucou
Comme ce coucou dans le réveil dans la salle à manger des Etiemble qui chante quand c’est son tour de chanter
La salle à manger des Etiemble me rappelait notre maison à nous
Avec ce réveil que tu avais mis au salon
Ce réveil qui nous réveillait à six heures pour l’école
Et chaque fois que je regardais le réveil des Etiemble
Je voyais ton visage buriné
J’aurai aimé avoir un visage buriné
Pourquoi n’as-tu pas voulu buriner mon visage ?
Dans la rue des Etiemble quand je fumais une cigarette vers minuit
Je pensais souvent à toi
Je pensais aux autres fois quand je suis venu en France
Pressé de retourner à Ouaga
Là non
Malgré le froid et la pluie
Malgré le tô qui me manque
Malgré la belote qui me manque
Malgré l’absence des gens dans la rue
Malgré les gens avares en bonjour
Non
C’est complètement différent des autres fois
Là je ne suis pas venu en France que pour travailler
Là je ne me sens pas un noir venu chercher du travail en France
À rue de la croix verte mon vieux
Je suis là pour partager une vie avec d’autres vie
Raconter chez nous ici
Écouter ici, ici
Voir ici, ici
Parler d’ici, ici
Visiter ici en âne
Et les ânes ici c’est très choyé
Et c’est là où je trouve ce pays contradictoire
Un Homme ignore un Homme seul dans la rue
Mais un Homme n’ignore point un chat, un chien, un âne seul
Trop d’affection pour les animaux
Peu d’animaux SDF et beaucoup d’Hommes SDF
Mais bon passons
Passons à moi avec les enfants tirés par des ânes dans Saint-Jacques
Ça a dû te faire bien marrer mon vieux
Moi aussi
Agréables sensations
Qui me rappellent mon enfance à Pagou avec les manguiers, les goyaviers, les jardins à légumes de Moumouni, ce jardinier qui arrosaient toujours en chantant ou sifflotant et qui passait toujours dire bonsoir à ma mère avant de rentrer chez lui. Que devient-il d’ailleurs.
Est-il avec nous ou avec vous ?
Après les ânes c’est la boite
Eh oui mon vieux
Suis toujours bandit, hein !
Tu me croiras pas mais c’était ma troisième fois dans une boite
Une boite de nuit.
Avoue que c’est plus tôt sage !
Non ?
Tant pis.
Mais je suis sûr que tu vas changer d’avis quand je vais te raconter la boite de nuit.
La boite de nuit en France
La boite de nuit ivoirienne en France
D’abord je te dis tout de suite que l’entrée était gratis
Alex lui évidemment ton premier fils qui n’est pas bandit n’était pas de la partie
Y avait
Flora
Celle qui joue dans la lumière d’août
Celle qui joue dans le ciel dans la ville
Celle qui danse dans le ciel de Bamako
Celle qui chante le ciel de Ouaga
Y avait
Dady
Le Congo qui rayonne en France
Le Congo tranquille dans les rues de France
Le Congo qui coule dans le théâtre de France
Y avait
Marie
Fin de la solitude
Début de l’humour
Y avait
Marina
La Russie
Oasis du désert Breton
Rire sourire féerique et intarissable dans l’indifférence des rues
Lionne avocate des branches errantes à force d’errements
Y avait
Ophélie
La Ketly noël à Bamako
La force tranquille
L’étoile dans la nuit noire de Saint-Jacques
Y avait Romain
Le ciel dans les yeux
La langue qui pisse l’humour
Bordeaux à Rennes
Y avait d’abord
Le bus numéro 7
Y avait d’abord la peur de ton premier fils Alex
La peur que Aristide le bandit ne se fasse arrêter
Pourquoi ?
Parce que je suis un noir en France
Un noir qui n’a pas pris ses papiers avec lui
Et un noir sans papier
Ça n’a pas droit de profiter comme ça de la belle France de liberté, d’égalité, de fraternité
Y avait
Mon insouciance vis-à-vis de la peur d’Alex
Y avait
Que mon envie d’être dans une boite en France
Y avait
Le bus numéro 7 qui était plein comme un œuf
Plein de jeunes babillards
Le bus s’arrête
Nous descendons
C’est curieux mais
C’est là que
Y avait
Un noir
Encore un en France
Chassé certainement par un dictateur que j’ai pensé
Et ben mon vieux j’avais raison
Le noir était une victime de Idriss Débile, Debi je voulais dire
Personne ne savait où elle était la boite
Génial je me suis dit
Mais je fais confiance
Puis enfin la boite
Un truc de ouf mon vieux
Un monde incroyable en file indienne devant deux trois loubards
Encore de la ségrégation
Mais on dira galanterie
Mais les nanas d’abord
Mais moi je sais que c’est une histoire malsaine tout ça
Les loubards fouillent et fouillent et fouillent
Comme les gendarmes les flics qui fouillent et fouillent les passeports
Puis la boite enfin
Puis le début de l’arnaque
T’es obligé de mettre ta veste au vestiaire
T’es obligé de payer 2 euros pour ça
Je sais t’imagine pas ça à Ouaga
Mais là on est France mon vieux et la France c’est un coin du monde très civilisé très égalitaire très juste très très
Puis la musique
Ivoirienne
Brésilienne
Antillaise
Américaine bien évidemment
Puis l’alcool
Puis nos corps qui trémoussent
Puis nos pores qui s’ouvrent
Puis tout en nous qui se noie dans nos sueurs dans l’alcool
Puis l’oubli
Puis le temps qui s’étiole
Comme toi avec ta
Voix d’enfant ivre
Toujours dans mes oreilles
Puis pourquoi tu es parti aussi tôt
Puis quand est-ce qu’on se revoit
Puis je suis fatigué
Puis je te raconterai la suite demain…
 
 
 

 

 

Jeudi 3 mars 2011 / Ouagadougou - Saint-Jacques


Je me rappelle tes derniers mots
Dans mes oreilles
Avec ta voix d'enfant
D'enfant ivreAvec ta voix de père fatigué
C'était Noël
Moi à Bamako
Toi à Koudougou
Je t'entends toujours dans mes oreilles de bandit
J'étais un bandit
Tu disais
Un bandit qui travaillait à l'école
Mais tout de même un bandit
Qui suis-je maintenant?
J’aimerais que tu me le dises. À travers le ciel
Ciel de rennes
À travers le vent
Vent jacquolandin
À travers la pluie
Pluie bretonne
À travers la lumière
Lumière d'août
Eh oui! vieux père!
Le bandit est encore parti
Jamais à la maison
Alors que tu veux boire une Brakina
Jamais à la maison
Alors que pour toi un premier fils doit être à la maison
Jamais à la maison
Pour apprendre à remplacer le père
Jamais à la maison
Alors que y a les frères et les sœurs à s'occuper
Jamais à la maison
Alors que y a le bois à couper, les arbres à arroser, le chien à nourrir, les poules et les coqs à Surveiller le soir dans le poulailler
T'es pas fâché vieux père
Que jamais
Que encore
Que toujours
Aristide qui travaille bien à l'école mais est un bandit ne soit jamais à la maison?
Tes derniers mots
En moi
Dans mes oreilles fuites à Bamako Dans mon nombril errant à Saint-Jacques de la Lande
Se rappellent
Se souviennent de ta voix d'enfant ivre
De ta voix de père fatigué
De ta voix d'adieu
Aujourd'hui encore
Aujourd'hui toujours
Ton Aristide qui travaille bien à l'école mais est un bandit
A suivi la lumière
La lumière d'août
Aristide qui travaille bien à l'école mais est un bandit
A suivi la pluie, la pluie, la pluie, Bretonne
Un vendredi
J'étais fatigué, Comme ta voix d’enfant au téléphone
Je sortais de deux mois d'angoisse Comme tu sortais de nous pour l’infini
La faute au théâtre Comme la faute à trop de bière dans ton corps ?
La faute au Maroc qui fabrique des filles mères célibataires Comme la faute à trop de sang de malade dans ton corps ?
Un vendredi je suis parti Comme toi un jeudi
Courir dans la poussière la fumée des motos et France au revoir et Chine au revoir et Amérique au revoir toute la journée
M'assurer que j'ai réglé toutes mes dettes à mon boutiquier
Que le riz n'est pas fini
Que le gaz n'est pas fini Que les factures sont payées
Qu'après moi ce n'est pas la fin
Que j'ai fini de payer l'école des frangines
Que les comédiens et danseurs et musiciens qui ont porté les filles mères célibataires ont été Payé
Que
Que
Que
Puis direction aéroport
Et la moto qui crève
Et la deuxième moto qui bloque à 1km de l'aéroport
Mauvais signes?
Mon cœur qui bat
Est-ce toi vieux père qui en a marre que je parte?
Est-ce toi vieux père qui a scruté le ciel et qui a senti du cramoisi?
La peur persiste
Insiste
Je doute
Faut-il partir ?
Faut-il rester ?
Et raconter quoi au mec que je te raconterai tout à l’heure ?
Et raconter quoi aux gens que je ne connaissais pas et que je te raconterai tout à l'heure ?
Faut foncer mec
Faut foncer
Toute façon si tu dois partir, tu partiras
Dans l'avion ou dans ton lit ou n'importe où mais c'est sûr si tu dois partir tu pars
Puis je vais enregistrer mes bagages
Puis on me dit que l'avion ç'a deux heures de retard
Puis je vais boire un coup avec mes Aïcha et Primo
Puis enfin l'avion est là
Puis le contrôle
Puis le gendarme
Un noir
Un Burkinabé
Qui me demande où je vais
Qui malmène mon passeport
Qui regarde mon passeport
Qui me regarde
Qui regarde mon passeport
Qui me regarde
Et qui finit par me dire bon voyage
Tu sais le genre de gentillesse de courtoisie d'hypocrisie qui te fait rire pleurer
Mais lui le gendarme il fait son travail
Son travail pour la France
Pour Sarkozy on va dire
C'est Sarkozy qui l' a embauché via Blaise Compaoré pour surveiller les frontières de la France depuis Ouagadougou
Un truc de comédien mon vieux
Mais c'est pas du tout du théâtre mais de l'immigration choisie et voulue
Comme si la terre appartenait à la mère de quelqu'un mais franchement
Pourtant je vais dans un coin du monde super méga champion recordman des droits de L'homme mon cul
Passons
Ou rions
Je ne sais pas
Mais je me suis retrouvé dans le ciel
Pas le temps
De regarder les nuages
Te regarder dans les nuages
Pas le temps de rire avec les étoiles
Rire avec toi dans les étoiles
Tu n'en veux pas à Aristide qui travaille bien à l'école mais est un bandit?
Mais n'est jamais à la maison?
Mais ne me connait pas?
Parce que là je suis en Libye
Et là mon vieux je peux te dire que ça ne rigole pas
Les mêmes conneries qu'à Ouaga mon vieux
Gendarme qui malmène ton passeport
Qui te demande où tu vas comme s'il en avait quelque chose à foutre et toi qui lui dit dans ton Cœur je m'en vais foutre ta mère
Et ta langue qui lui dit Paris
Et ton corps qui se cherche parce que trop de France au revoir de Chine au revoir d'Amérique Au revoir en lui
Et l'aéroport de Kadhafi
Parce que la Libye c'est Kadhafi
Parce que Kadhafi c'est la Libye
Comme le Burkina c'est Blaise et Blaise le Burkina
Parce que la France c'est Sarko et Sarko c'est la France
Ben, je me retrouve subitement à Tripoli, avec plein de monde qui se cherche qui se cherche Qui se cherche
Et mon corps qui s'affaisse sous Kadhafi
Et lui qui n'en a rien à foutre
Et moi non plus
Et enfin l'avion pour ce coin du monde super méga champion recordman des droits de l'homme Mon cul est annoncé
Encore parti ton Aristide qui travaille bien à l'école mais est un bandit
Mais n'est jamais à la maison
Mais ne me connait pas
Pas le temps de regarder le ciel
Te regarder dans le ciel
Pas le temps de rire avec les étoiles
Rires avec toi dans les étoiles
Que me voici dans l'aéroport Charles de Gaulle
Tu sais le mec que grand-père avec les autres grands-pères du Sénégal du Mali du Niger de la Côte d'ivoire étaient venus aider quand les Allemands avec leur Hitler étaient super fâchés Avec les Français et les Juifs?
Comment va-t-il d'ailleurs grand-père?
L’as-tu retrouvé?
Et grand-mère?
Êtes-vous ensemble là-bas? Vous vous marrez bien là-bas ?
Sont-ils contents de comment t'as géré la famille après eux?
Que pensent-ils de comment je gère après toi?
M’en veulent-ils d'être toujours parti
À Paris?
Parce que je viens d'arriver à Paris.
Encore un homme de la loi.
Le premier à me souhaiter bonne arrivée Devine qui c’est mon vieux!!
Le froid. Avec sa sœur la pluie. Eh oui c'est comme ça ici. Quand tu descends du ciel à Paris y a toujours (sauf en juin juillet août bref ce qu'on appelle été ici) y a toujours un mec et sa frangine qui viennent tout de suite te dire bonjour : c'est monsieur Froid et madame Pluie. C’est atypique, non?
Les hommes et les femmes de la loi eux ne te disent pas bonne arrivée
Eux te disent bonjour. Comme s'ils ne savaient pas que tu descendais du ciel et que le ciel et La terre c'est pas quand même des voisins
Bon mais passons
Les mecs te disent à peine bonjour et hop ils te tendent la main
Et tu dois deviner que le gars tu ne l'intéresses pas
Mais que c'est ton passeport qui l'intéresse
Un peu comme le flic à Ouaga et en Libye
Et donc tu ne peux pas lui dire comment allez-vous?
Et la famille?
Et vos enfants?
Votre femme?
Vos voisins?
Le boulot?
Pourquoi il fait toujours froid par là?
Est-ce que le ciel est malade?
Sinon pourquoi pleure-t-il tout le temps?
Enfin je veux dire se servir de sa langue pour jeter un pont d'humanité, d'amitié, d'amour
Entre toi et un autre toi qui est en face de toi dans un toi et moi aux abois sous un toit où trop De chiens aboient quoi?
Le flic à Paris il n'en a rien à carrer de ton pont d'humanité son cul
Il te prend le passeport
Il le fouille
Te fouille
Le fouille
Te fouille
La tronche le faciès
Comme son camarade de la Libye de Ouaga de n'importe où où trop de chiens aboient avec Des caravanes qui passent et rien ne se passe
Et tu continues dans un coin qui pue la ségrégation versée à même le sol.
Le coin s'appelle :
Passeport européen/autre passeport.
Je te mens pas
C'est écrit noir sur blanc à Roissy Charles de Gaulle
Un big aéroport made in France qui accueille le monde entier
Ben si tu me crois pas viens voir mon vieux où demande à grand père lui il connait alors?
Toute façon tu m'as toujours cru difficilement
Mais c'est vrai que je ne savais jamais comment tu allais réagir donc
Je te racontais souvent n'importe quoi mais là je te jure que c'est pas du vent
J'ai vu et pas une fois et pas deux fois et pas trois fois
Depuis Sarko
Depuis l'Union Européenne
Depuis que nous sommes
Autres
Noirs
Pauvres
Sidéens
Misérables
Sauvages
Illettrés
Catalogués
Épilogués
Fichés
Fichus
Désunis
Balkanisés
Colonisés Quart mondisés
Tiers mondisés
Sous développés
Aidés
Humanitarisés
Bref
À passeport européen/autres passeports un autre flic t'attend pour te poser les mêmes Questions débiles qu'à Ouaga et en Libye et à la gueule de l'avion d'où tu viens de sortir
Vous allez où monsieur?
Et t'as l'impression que la question elle te poursuit tu sais?
Et tu te dis mais pourquoi ils te posent tous cette question?
Y a-t-il un communiqué qui est passé dans les radios
Et qui dit que des types complètement désorientés, paumés et atteints de la maladie D'Alzheimer débarquent à Charles de Gaulle ou quoi ?
Prière de ne pas jeter un pont d'humanité entre vous et eux mais demandez-leur simplement où Ils vont, enfin tu vois ce que je veux dire?
Je suis en train de sortir de l'aéroport de la France et le mec il te demande où tu vas? Ben je Sais pas...dans la lune, dans le trou du cul des droits de l'homme à marcher comme il veut Comme il veut sans un con qui va lui faire chier avec des questions débiles. Voilà. Mon cœur a vomi ça et ma langue a dit : Paris
Non
Non
Non
Suis pas poltron
J'ai encore pensé à ce mec que je vais te raconter tout à l'heure
Et puis ça ne sert à rien de chercher des noises avec des mecs des nanas qui laissent leurs Mecs leurs nanas leurs papas leurs mamans leur sommeil leurs cafés pour venir poser des Questions débiles à des millions de gens? Tu t'imagines? Le mec il pose les mêmes questions Des millions de fois par jour!
Bon passons
Ou rions
Rions de moi dans Paris
Dans le froid et le ciel qui continue de pleurer Rions du ciel toujours gris à Paris Rions de ces millions de gens dans les rues qui s’ignorent Rions de tous ces gens qui courent qui courent qui courent vers où vers quoi Rions des gens qui n’ont pas le temps de te renseigner Rions de ces grandes maisons vides alors que plein de sdf dans les rues Rions de ces gens seuls alors que y a plein de gens à côté d’eux Rions de ces chats de ces chiens qui sont mieux soignés mieux regardés mieux logés Rions de ces publicités partout Rions de ces bars ces cafés partout partout Je ris et
J'allume une cigarette
Ah! Pardonne-moi
ça m'a échappé
Mais ça fait longtemps
Que je fume
Tu ne l'a jamais su
Tu ne m'a jamais vu mais
Je fume
C'est comme ça
Toi c'était la bière
Moi la cigarette
Je sais que tu préfères la bière à la cigarette
Mais que veux-tu?
C’est comme ça
C'est le soleil qui tape fort à Ouaga
Et le froid qui tape fort à Paris
C'est autre passeport et passeport européen
Mais je nous ai trouvé un pont
La belote
Les cartes
Tu aimais ça n'est-ce pas?
Je me rappelle quand on devait venir te chercher chaque fois à la belote
Chaque fois que t'avais une visite
Chaque fois que l'ambulance venait te chercher
Souvent tu oubliais que l'ambulance ou un ami ou un parent t'attendait
Et moi je courais je courais je courais à la belote pour te dire te dire te dire qu'un ami que L'ambulance t'attendait puis tu courais tu courais tu courais après vers chez nous
J'aime te voir courir vers chez nous
J'aime te voir courir pour aller soigner les gens
J'aime ton visage impassible
J'aime ton rire jamais présent
J'aime tes mots éphémères
J'aime ton amour enfoui
J'aime ta fierté en ruine
J'aime ton attachement au juste
J'aime ta façon de m'aimer nous aimer
Je t'aime mon vieux
Tu me manques mon vieux
Est-ce que je suis toujours ton Aristide qui travaille bien à l'école mais qui est bandit?
Est-ce que tu m'en veux toujours de ne jamais être à la maison?
Est-ce pour ça que tu es parti si tôt?
C'est parce que je ne t'ai pas encore raconté le mec que je veux te raconter
Allez je te le raconte
Même si je sais que tu le connais déjà
C'est un mec que tu as déjà vu dans le ciel
Il adore le ciel et toute sa population
Dis-lui un jour merci si tu le vois dans le ciel
Présente grand-père tout le monde de chez nous parti vivre dans le ciel dans les eaux dans les Arbres
Parce que trop de autre passeport/passeport européen sur la terre
Je voudrais qu'il soit ton premier fils
Parce que lui n'est pas bandit
Parce que lui fait beaucoup marrer ton premier fils bandit
Parce que lui a jeté beaucoup de pont d'humanité entre ton premier fils bandit et les gens de Chez lui
Parce qu'après Paris et ses froids et ses pluies et ses autres passeports/passeports européens
il m'a conduit chez lui
En Bretagne ça s'appelle
Saint-Jacques de la Lande