signembPolitique-fiction

signembTexte et mise en scène de Marine Bachelot Nguyen

signembCréations 2007 et 2008

 



artemisia 

 

Générique

Texte et mise en scène Marine Bachelot Nguyen
Interprètes Émeline Frémont, Claire Péron, Stéphane Piveteau
avec la présence-vidéo d’une vingtaine de comédiens amateurs
Scénographie Bénédicte Jolys
Photographies (sauf mention) Caroline Ablain
Vidéo Julie Pareau
Lumière Arnaud Godest
Régie générale Nicolas Marc
Diffusion Gabrielle Jarrier
Gestion administrative Sonia Rolland

Production Lumière d’août
Coproduction Théâtre National de Bretagne (Rennes), Théâtre de Folle Pensée (Saint-Brieuc)
Soutiens La Paillette théâtre (Rennes), Théâtre du Cercle (Rennes), Théâtre de Poche (Hédé)

Calendrier

— spectacle créé du 28 au 31 mars 2007 à La Paillette (Rennes) et repris au Théâtre de Poche (Hédé) du 18 au 20 octobre 2007
— re-création d’Artemisia vulgaris II au festival Mettre en scène (Théâtre National de Bretagne, Rennes) du 11 au 15 novembre 2008


De quoi parle la pièce ?

Artemisia vulgaris fictionne sur le destin d’une femme insaisissable, qui parcourt la planète à la rencontre de chefs d’État et dictateurs du monde entier, croisés dans des « zones de jonction » surmodernes et décrites au scalpel.

On suit cette femme dans ses voyages, dans ses expériences culinaires improbables, on écoute sa fascination pour France Info et la botanique, pour un Christ qu’un laboratoire de Turin tente désespérément de cloner. Cette femme, on le découvre peu à peu, met son corps et son sexe en jeu pour aller au devant d’un mystère : celui de l’exercice du pouvoir et de la « destruction politique des corps » qui lui est presque toujours associée.

Portée par un chœur de récitants, relayée par d’autres présences et visages, la voix d’une rumeur mondaine, médiatique et mythique déploie peu à peu sa légende.

Artemisia vulgaris est une « politique-fiction », une pièce construite dans un entrelacs fictionnel et documentaire. La fable, l’écriture et la langue se nourrissent d’inserts documentaires bruts, d’ancrages revendiqués dans la réalité politique du monde actuel.

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« À travers le destin d’une femme, Artemisia vulgaris déplie presque le monde entier. Géopolitique amoureuse. On entend les noms d’hommes politiques importants et qui bougent encore. On entend les noms de villes que nous n’avons pas visitées, d’aéroports en aéroports. Ce sont les mots, ce sont les noms du journal de vingt heures, mais le sens se fait plus inquiétant. Ce sont les images polies des sites Internet, mais les corps sont là. Une femme est le centre de la pièce, une femme qui a vu et parcouru tous ces lieux. Son corps à elle est relié au monde entier. Au plus profond des entrailles de cette femme le monde est en question. »

Alexis Fichet (1er metteur en scène d’Artemisia vulgaris)

 

 

Parcours > un texte in progress

LIEN VERS DES EXTRAITS DU TEXTE ARTEMISIA VULGARIS


Artemisia vulgaris a initialement été écrite dans le cadre d’une commande de Roland Fichet (auteur dramatique et directeur du Théâtre de Folle Pensée) pour le projet Pièces d’identités, création qui a regroupé en 2003-2004 de jeunes auteurs, metteurs en scène et comédiens français et africains.

La première version de la pièce a été créée en janvier 2004 à la Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc, au sein du spectacle Pièces d’identités, dans une mise en scène d’Alexis Fichet.

En 2005, j’ai repris et remanié la structure et la fin de la pièce, afin de l’actualiser. Certains des hommes politiques et chefs d’État qui figurent désormais dans la fiction avaient changé de situation, s’étaient illustrés par de nouveaux agissements ; il m’a semblé intéressant d’en jouer, de saisir les nouveaux questionnements qui se soulevaient.

Ceci m’a poussée à concevoir une troisième partie d’Artemisia vulgaris in progress, destinée à être réécrite au fil des soubresauts de l’actualité et de l’histoire proche, en fonction des questions qui concernent l’assemblée des spectateurs au moment de la représentation.

Artemisia vulgaris a ainsi connu une version mars 2007 (pour la création du spectacle à La Paillette, Rennes) et une version octobre 2007 (reprise au Théâtre de Poche, Hédé).

Avec Artemisia vulgaris II, pour la re-création du spectacle lors du Festival Mettre en scène en novembre 2008, c’est une perspective de réécriture plus large qui est mise en œuvre : changement des agencements et de certaines références, intégration plus subtile et ludique de l’actualité à la fiction, approfondissement des questions politiques et philosophiques soulevées par la pièce, élargissement final de l’horizon mythique du récit.

— En juin 2007, la pièce a été sélectionnée au titre de l’aide à la création de textes dramatiques du Centre National du Théâtre / DMDTS.

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En dehors de la compagnie Lumière d’août, la pièce suit aussi son chemin…

— Artemisia vulgaris a été sélectionnée par le comité de lecture parisien d’Aneth (Aux Nouvelles Écritures Théâtrales - Carnets de lectures n°9)

— Artemisia vulgaris (version avril 2005) a été publiée comme inédit dans la revue Théâtre s en Bretagne n°23 (P.U.R, 1er semestre 2006).

— Dieudonné Niangouna, auteur et metteur en scène congolais, a mis en lecture Artemisia vulgaris en décembre 2005 à Brazzaville, lors du festival Mantsina sur scène.

— Jean Clauvice N’Goubili, metteur en scène de l’Atelier Bobatu, a créé la pièce au CCF de Brazzaville le 12 mai 2007 (avec le soutien de Cultures France).

 

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Entretien avec Marine Bachelot Nguyen

Artemisia vulgaris : que signifie ce titre ? Le titre est énigmatique, comme l’est le personnage central. Cette jeune femme peut être vue comme une Artémis, une chasseresse qui traque les hommes de pouvoir, des dictateurs aux chefs d’États démocratiques. « Vulgaire » parce qu’on peut l’assimiler aux escort girls qui rendent des services sexuels, et qui parfois pratiquent l’espionnage.

Artemisia vulgaris, c’est aussi le nom d’une plante sauvage aux nombreuses propriétés. Le titre condense tout cela. Que cherche-t-elle ? Elle veut comprendre ce qui est commun aux hommes de pouvoir, ce qu’ils partagent ensemble. La première chose étant l’appétit sexuel – l’actualité le vérifie quotidiennement. Mais au-delà, tous accomplissent une forme de « destruction politique des corps ». Très concrètement par les guerres, les répressions, mais aussi, chez nous, à travers cette fragilisation des citoyens et des peuples, provoquée par la généralisation de la peur, de la précarité, qui laminent notre puissance. Deleuze écrit en commentant Spinoza : « Aujourd’hui, les pouvoirs ont moins besoin de nous opprimer que de nous déprimer ». Ces hommes sont du côté du pouvoir, qui est mortifère et développe des passions tristes, et non de la puissance, qui est force de vie, de soulèvement.

Artemisia est puissance de révélation, elle fait la lumière sur ce que j’appellerai la pornographie politique. Elle pose du moins des hypothèses, dont celle d’un lien entre la sexualité des hommes de pouvoir et ce phénomène de destruction politique des corps. Auteur du texte, vous assumez également la mise en scène : avec quelles conceptions du théâtre ? Je revendique ici une forme de théâtre-récit. Les trois acteurs évoluent dans un espace scénographique conçu comme un paysage mental, parsemé de signes en évolution. Par moments, d’autres visages les rejoignent et forment un plus large chœur, à travers la vidéo. La convocation de personnalités politiques réelles, la référence à l’actualité, se traduisent dans le dispositif textuel et scénique par des inserts documentaires bruts, des photographies, ou encore la radio en direct. Je mets en place une fiction documentaire qui travaille sur le bruit du monde contemporain.

Propos recueillis par Raymond Paulet, pour le Théâtre National de Bretagne, 28 octobre 2008

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ARTEMISIA VULGARIS en scène

— Trois mouvements

1. « Le Voyage ». Ou la reconstitution quasi-policière des déplacements et voyages de cette femme à travers le monde, parsemée d’indices : les lieux où elle est allée, les prénoms des hommes d’Etat qu’elle a rencontrés, les réactions de ses cellules les plus intimes. Sur le plateau se joue aussi la construction du corps de la prostituée de luxe. Une traversée entre géopolitique et biologie.

2. « La cuisine ». On se rapproche de l’intimité domestique et des agissements d’ELLE, on formule des hypothèses. Entre une recette de confiture de fraises et l’évocation du linceul du Christ, la menace du terrorisme sexuel se dessine. Les mains dans la pâte, la question politico-philosophique des liens entre sexualité, désir de pouvoir et « destruction politique des corps » est soulevée par les récitants, qui nous révèlent enfin qu’ELLE détient dans sa cuisine les substances séminales des hommes d’Etat.

3. « Continuer ». Dans cette troisième partie où les noms des hommes politiques sont livrés dans leur réalité brute, où une certaine dimension d’actualité reprend le dessus, le projet de l’héroïne rencontre progressivement des obstacles, basculant finalement vers une issue cérémonielle, violente, parodiquement christique. Puis ELLE s’échappe dans la forêt, vers un devenir-plante, un devenir-déesse qui semblent l’éloigner de l’action politique mais lui donnent les dimensions du mythe.


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— Une héroïne et deux récitants

Sur le plateau, trois comédiens : un duo de récitants, et une jeune femme dont le corps et la personne vont devenir une légende.

Par un jeu de micro-métamorphoses, Emeline Frémont incarne peu à peu cette légende. ELLE est une figure qui vit des transformations permanentes, joue à épouser des identités multiples, et trace sans cesse, non sans humour, des lignes de fuite : madame tout-le-monde, prostituée de luxe, espionne terroriste, « Artemis vulgaire », plante, déesse, Christ femelle... S’appuyant sur des stéréotypes légèrement décalés, l’actrice accomplit ce chemin des identités féminines.

Les récitants, Claire Péron et Stéphane Piveteau, reconstituent, construisent ou fantasment la destinée de cette femme, accompagnant son jeu de métamorphoses. Enquêteurs, observateurs ou complices, ils sont les passeurs et les acteurs ludiques du verbe et du récit, intermédiaires entre ELLE et le public, mais également vecteurs conscients du propos politique qui se joue derrière la fable d’Artemisia vulgaris. Leur duo trace des rythmes, des intensités, des rapports de distance et d’intimité avec l’héroïne.

— Scénographie / un paysage mental

Conçu dans un dialogue nourri avec la scénographe Bénédicte Jolys, modulé au contact des acteurs pendant les répétitions, le dispositif scénographique et plastique d’Artemisia vulgaris dessine un paysage mental, à la fois clinique et organique, où s’écrit, se raconte et se joue l’histoire d’ELLE.

La vaste étendue blanche du sol est coupée au lointain par une forêt de branchages, rideau végétal et espace-source de l’héroïne. Des formes couleur chair, échouées au sol, évoquent les îles ou les continents des cartes de géographie, aussi bien que des matières plus directement organiques. Des pantalons et vestes d’hommes, figés dans des postures grotesques, rappellent les conquêtes et les chasses de la prostituée de luxe, puis résonnent avec la question de « la destruction politique des corps ». L’écran métallique en mouvement se veut une fenêtre sur le monde, de même que les écrans de plexiglas manipulés par les acteurs. Une table d’aluminium devient l’autel domestique de l’héroïne qui nous emmène dans les secrets de sa cuisine. Des îlots de bocaux transparents, des tubes néons et objets lumineux complètent le dispositif, devenant par moments accessoires de jeu.

La volonté est que la scénographie et ses éléments soient à la fois paysage, réseau de signes en évolution, partenaires de jeu pour les comédiens.

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Photographie panoramique du dispositif scénographique d’Artemisia vulgaris (photo : Stéphane Mahé)

 

— L’irruption du réel documentaire

Si l’univers scénographique joue sur l’installation d’un paysage et d’une poétique, la mise en scène fait aussi appel à la présence de matériaux et supports documentaires plus bruts. Une radio réglée sur France Info diffuse en direct des nouvelles qui viennent interrompre le récit à des moments choisis : le pari est, prenant le risque de l’aléatoire, de faire résonner la fiction d’Artemisia vulgaris avec le flux médiatique, de rappeler au spectateur la rumeur continue du monde. Des photos de chefs d’État sont projetées sur des écrans ou à même le corps de la comédienne. Ces inserts documentaires, ces liens bruts avec la réalité extérieure sont une façon de politiser l’univers scénique, en même temps qu’ils renvoient aux modes d’écriture du texte (collage, montage, insertion).

 

— Les photographies du « Voyage »

Caroline Ablain a réalisé une série de 12 photographies que je lui ai commandées, inspirées des 12 lieux de rencontre qu’ELLE évoque et décrit dans la 1ère partie du texte, « Le Voyage ». Espaces intérieurs vides de présence humaine, focales frappantes, paysages à la banalité trompeuse, les images de Caroline Ablain entrent en résonance avec les espaces surmodernes dans lesquels le personnage principal évolue. Projetées sur un écran rotatif d’aluminium conçu par Bénédicte Jolys, les photographies n’ont pas de vocation illustrative : elles viennent accompagner et ponctuer le récit, installer ou contredire l’univers, ouvrir des fenêtres fugitives dans l’espace scénique.

 

— Images vidéo et participation de comédiens amateurs

Des images vidéo prennent place dans le spectacle, apparaissant sur différents supports de projection (écrans, objets, corps), s’intégrant à la scénographie et au récit, et devenant partenaires de jeu des comédiens. Nous souhaitons en effet avec Julie Pareau travailler en ce sens : une vidéo au service des acteurs et du texte, qui s’intègre avec souplesse dans la mise en scène.

Des voix et visages en vidéo interviennent pour donner une dimension supplémentaire au chœur de CEUX QUI PARLENT AUTOUR D’ELLE, assumé sur le plateau par Claire Péron et Stéphane Piveteau : sur des écrans de plexiglas manipulés par les acteurs, ces visages et ces voix rapportent des fragments de l’histoire d’Artemisia vulgaris. Ainsi l’idée d’un plus grand nombre de récitants et de témoins est-elle restituée, à mi-chemin entre récit médiatique et récit mythique.

Ces images ont été réalisées avec des comédiens amateurs désireux de découvrir le texte. Les captations vidéo ont ensuite été retravaillées et montées par Julie Pareau. Leur intégration au plateau a fait l’objet de nombreuses expérimentations. Solliciter des comédiens amateurs et les inviter à participer de cette façon au processus m’a semblé important dans l’esprit du projet, pour ouvrir le geste de création vers l’extérieur, et en garder une trace visible dans le spectacle.

D’autres visages, photos en mouvement, prénoms, glissent sur l’espace scénique ou naissent sur le corps des acteurs, comme autant de signes contribuant à nourrir l’univers scénique et son imaginaire.

 

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