texte de Laurent Quinton


Ce texte a été écrit et prononcé le 5 août 2005, à Casarsa (Italie), sur les tombes de Susanna et Pier Paolo Pasolini, en présence d'Alexis Fichet, Stéphane Hervé, Bérengère Lebâcle, Nicolas Richard.

Il a ensuite participé, dans sa version vidéo, filmée par Alexis Fichet, au spectacle « Pièce, plomb laurier crabe : un brouillon. Exercice d'admiration 1 : Paul McCarthy », créé au Studio-Théâtre de Vitry, les 29 et 30 septembre 2006.

 

 

Extrait :


Pier Paolo,
Pier Paolo,
Alors nous sommes venus ici, à Casarsa, dans ce cimetière où tu es enterré. Alors il y a Bérengère, Alexis, Nicolas, Stéphane et moi. Nous sommes venus te voir. Nous sommes venus pour être, quelques instants, à tes côtés.
Et à côté de toi aussi, il y a ta mère. Cette petite bonne femme – quand on la voit, dans ton Évangile selon saint Matthieu, on se dit : « Qui c'est cette petite bonne femme avec son voile noir et ses petites dents de souris sa tête de mulot épuisé travaillé par les ans et qui tombe à genoux devant ce jeune dieu souffrant sur la croix qui est-elle ? » Eh bien c'est ta mère. Son visage travaillé par les ans, oui, les souffrances, la folie peut-être. La mort de Guido, ton frère sous des balles inutiles ; la vie menée par ton père, cet imbécile rigide, mais qu'elle aimait sans doute (le singulier, toujours le singulier) ; et toi, bien sûr, le fils adoré, mais qui a dû sans doute la rendre folle un peu plus chaque jour. Folle – j'imagine – face à ton Médée, sans doute, de voir Laurent Terzieff – Laurent Terzieff ! – jouer le centaure à barbe ; folle face à ton Oedipe roi, et Franco Citti qui hurle et lance des cailloux sur les jambes de ses ennemis, et puis qui court, qui court, et les épuise, et puis revient, et les frappe avec son glaive émoussé. Folle dans ton Évangile selon saint Matthieu, d'être la mère du fils de Dieu, et de comprendre d'un coup que tu finiras toi aussi écrasé par l'humanité et pauvre comme un chat du Colisée.
Et tout ça respire de poussière ; ça respire de vie nue, aussi, cette beauté si difficile à saisir, à expliquer, qui tremble de poussière et des ruines des borgate, le vent des borgate, des terrains vagues, des autobus brinquebalants transportant les ouvriers de Rome à la périphérie de Rome.
Ta mère est là, quand tu vois ça, à 25 ans. Tu lui écris des poèmes ; elle semble contente, tout de même. Mais bon, tu vois ce que tu lui fais faire dans L'Évangile ? Bien sûr, tu le vois, tu comprends, tu n'es pas bête, mais tout de même tu y es allé un peu fort sur ce coup-là. Est-ce qu'elle était vraiment cette jeune fille à la moue boudeuse et tranquille qui ouvre ton Évangile ? Est-ce qu'elle représentait vraiment pour toi cette vierge-là – et encore un autre plan, où la jeune vierge baisse la tête, confuse ?, heureuse ?, et le vent de Nazareth, peut-être le même que celui des borgate, souffle dans son voile ? Et la musique que tu choisis alors : Sometimes I Feel Like a Motherless Child.


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