texte de Juliette Pourquery de Boisserin

Extrait :

Se laisser envahir par la chaleur du soleil, là, au milieu. Seulement, et regarder le grand chêne. Je ne vais pas me mettre à l’ombre tout de suite. Je reste parmi les bourdonnements de l’herbe sous le soleil droit. Et je regarde le jardin encombré de tiges, de fleurs, de feuilles. Je regarde les pivoines, je regarde les lignes de pierres des murets. J’écoute tous les chants et dans le fond, le chêne. Le vie comme une anguille frétillante sous les pierres blanches du jardin. Se laisser chauffer par le soleil, sans bouger, laisser chauffer ses os, sa chair, comme un chien calme étalé dans la nappe lumineuse. Il pisse comme un chien, il a marqué son territoire. Et nous nous flairons, nous nous approchons tous comme des chiens et nous sommes peut-être des chiens en petite meute innocente, et j’en suis un. Je suis le chien paresseux étendu dans l’herbe, endormi, immobile. Mais nous ne sommes pas des chiens. Même si c’est tentant, dans cette torpeur. Quelques grognements de chiens s’échappent dans une absence de parole. Je ne peux plus penser à rien d’autre qu’à la chaleur, le chien avec ses poils luisants dans la chaleur. Je halète. Le soleil ne tourne pas, dans ce coin du jardin, le soleil est perpétuel. La mauvaise humeur des chiens qui se reniflent mal, qui se soupçonnent. La voix douce et amicale qui n’est pas celle d’un chien. La voix soucieuse d’un bien-être parmi les mouches, les fourmis, les herbes, les chants. Rien n’est éloigné de moi, je n’ai qu’à étendre mes bras, je n’ai qu’à poser ma main. La chaleur fait craquer ma nuque. J’entends. Le bourdonnement des voix qui ne sont plus celles des chiens. La maladie ne ronge personne aujourd’hui. Mes yeux, leurs globes, sont deux fournaises. Chair de mon dos assidue à la chaleur s’imprègne d’eau claire, la torpeur va l’écraser. Je vais m’endormir. Les feuilles longues et élancées s’agitent sous le vent parfois, et se tissent en haies d’osier. Des particules flottent. L’ombre danse un peu partout. La mousse sèche. Il n’y a plus de chiens. De vraies voix humaines résonnent. Mais peut-être que j’ai épousé un chien. Il a voulu marquer son territoire sur moi, avec ses crocs et ses substances. Il a voulu m’assaillir et répandre ses odeurs mais j’étais une anguille. J’ai joué l’innocence. J’ai appris mon erreur, par cœur, et j’ai travesti l’abandon en autonomie.

 

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