SURSIS
Juin 2024, les élections européennes puis législatives nous agitent. Nous lisons, débattons, écrivons. Nous vous livrons quelques mots ici... et plus bas quelques ressources qui nous paraissent importantes.
Juin 2023 : un policier tire à bout portant dans la tête du jeune Nahel. Choc, sidération, colère. Embrasement dans les quartiers populaires français, face à un énième meurtre policier raciste. Dans un communiqué, des syndicats de police évoquent des « hordes sauvages » et des « nuisibles » à mater, agitent des menaces de sédition. Une cagnotte destinée à la famille de l’assassin atteint les 1,6 millions d’euros. Des milices fascistes, à Lyon, Lorient ou ailleurs, profitent des manifestations pour aller tabasser de jeunes racisés. Le fascisme montre tranquillement son visage. Et nous, en tant que citoyen.nes, en tant qu’artistes, faisons le constat de notre impuissance. Mais nous continuons.
Juin 2024 : un Président flingue l’Assemblée nationale avec une dissolution-éclair, se vantant même de « balancer une grenade dégoupillée » dans la vie du pays. Choc, sidération, colère. Tout le monde estomaqué part en campagne. La gauche fait front populaire et barrage, la droite tergiverse et se disloque, l’extrême-droite jubile. Porte ouverte aux racistes. Qui « cassent du pédé » et « du bougnoule », insultent leurs voisin.es, terrorisent des enfants, hurlent « Mort aux Arabes », agressent et ratonnent, s’y sentant autorisés par la victoire de leur parti – tandis que les chefs du RN tentent de lisser leur image et leurs mensonges, servis par les médias mainstream de Bolloré et consorts.
Et à chaque fois, nous encaissons les violences multiples, nous suffoquons et dormons mal, nos corps minorisés sont inquiets, blessés, menacés, intranquilles. Mais nous continuons.
Le vote RN s’étend à toutes les classes sociales et professions, des ultra-riches aux ultras-pauvres, en passant par les classes moyennes. Certains votent par goût et conviction de la violence haineuse et fasciste, d’autres parce qu’ils subissent trop de violence économico-sociale, d’autres par esprit de revanche, certains en toute conscience, d’autres en méconnaissance.
De même que la prise de conscience féministe a fait éclater la bulle, nous a révélé que les agresseurs sexuels et violeurs étaient partout (dans nos familles, nos entourages amicaux et professionnels), nous ne pouvons nier, malgré toutes nos bulles, que les électeurs du RN sont partout. Et il ne s’agit pas de diaboliser quiconque, d’amalgamer quoi que ce soit, mais de prendre acte.
Lutter contre le patriarcat et la culture du viol, lutter contre le racisme et le fascisme, c’est un combat quotidien, patient, complexe, terriblement politique, terriblement humain. Le travail pour déraciner l’idéologie de l’inégalité entre les êtres sera long, humble, obstiné. Il faudra trouver les passerelles, défaire nos moralismes et nos arrogances, réinventer des langages, sortir de nos entre-sois, battre les campagnes, rendre les idées de gauche plus exigeantes - et aussi plus désirables.
Dimanche il y a eu sursaut, air un peu plus respirable. Mais nous sommes en sursis. Le risque, avec le RN, dans les suites d’une droitisation bien entamée par les précédents gouvernements, c’est la dissolution à l’acide de l’État de droit, et de l’État social. C’est la criminalisation et la répression des initiatives et combats pour l’égalité, pour la justice sociale et le partage des richesses, pour l’éducation et la santé de tou.tes, pour le respect de tous les êtres humains et de leur intégrité, sans distinction.
Artistes de théâtre attachés à une mission de service public, nous héritons d’une responsabilité civique et politique, née dans l’après-guerre, juste après les crimes du régime de Vichy, alors que l’empire colonial français était toujours en place. Et nous savons que rien ne se résoudra sans affronter et digérer l'histoire coloniale et esclavagiste de notre pays, longtemps passée sous silence, qui est la matrice des racismes d'aujourd'hui. Celle qui infuse les structures de la République et des institutions malgré toutes les belles devises, qui habite les imaginaires – et qui fait que le racisme n’est en aucun cas l’apanage d’un seul parti.
Alors on se souhaite de continuer en trouvant les voies justes, de garder la mémoire acérée et l'espoir, de ne jamais s'habituer à la violence.
Marine Bachelot Nguyen
Alexandre Koutchevsky
Ressources
https://www.frustrationmagazine.fr/entretien-benoit-coquard/
Dominique Méda : « Le puissant sentiment d’injustice ressenti par une partie des Français explique la puissance de la réaction dans les urnes »