Texte de Marine Bachelot Nguyen, mis en scène en 2014.
La pièce est publiée aux Éditions des Deux Corps, 2014.

Extrait 1

Silvain – Ce n’est pas moi qui suis allé la chercher, et je n’ai rien fait pour. Un soir de mai dans sa ville, elle était dans la foule.

Karine – Il s’appelle comment ton instrument ?

Silvain – Djéli n'goni. Pendant tout le concert elle m’a vu pincer les cordes, m’a dit n’avoir regardé que ça. Mes doigts qui pinçaient les cordes du n'goni, et moi au-dessus de l’instrument.Tout ça elle me l’a chuchoté dans l’oreille, après, quand on dansait sur de la musique enregistrée. Ca arrive souvent que des filles viennent nous voir après, se trémoussent devant l’un l’autre d’entre nous. Et que l’un l’autre d’entre nous reparte avec l’une d’elles vers l’hôtel, ça arrive aussi. Ce soir-là je vois cette fille qui s’approche en dansant, beau sourire, mouvement de fesses assez étonnant

Karine – J’ai pris des cours de danse africaine

Silvain – Joueuse, beau sens du rythme, pas de la catégorie des blanches trémoussantes, pas maladroite, pas vulgaire. Et jolie, plutôt jolie. Alors on a dansé et dansé, il faisait chaud, on s’enfilait des bières pour se rafraîchir en échangeant juste quelques mots par-dessus la musique, j’aimais bien sa façon de boire, la sueur qui perlait au-dessus de ses lèvres sur son cou, et j’aimais aussi me sentir complètement trempé, avec cette chose qui grandit en même temps que l’alcool t’envahit le corps

Karine – Tu veux une autre bière ? C’est à mon tour

Silvain – On se touchait pas vraiment parce qu’on dansait sans les mains, et ça a duré longtemps, jusqu’à la fermeture, le plaisir de se frôler dans le rythme, puis de se frôler hors du rythme, quand les corps adoptent leur rythme à eux à l’extérieur de la musique, et on a continué sur le trottoir à danser sans la musique en riant, on était ivres, complètement. Puis elle m’a collé contre une voiture garée-là et m’a embrassé. Sur sa langue, un goût de bière et de cerise. Je n’ai vraiment rien fait pour

Karine – Tu as envie de venir chez moi ? J’habite tout près…

Silvain – En réalité c’était plutôt loin. On a marché dans les rues enlacés, se soutenant pour ne pas tomber, je me souviens vaguement de l’escalier étroit et de la porte sur laquelle il y avait une carte avec son prénom, « Karine ». Elle a poussé la porte

Karine – Tu m’excuseras, c’est un peu le bordel

Silvain – On est entré, j’ai vu une masse sombre bouger dans l’obscurité, c’est venu me frôler les jambes, de surprise j’ai crié

Karine – C’est mon chien… Il est gentil n’aie pas peur

Silvain – Un chien gros et velu, avec des yeux jaunes qui brillaient dans le noir…

Extrait 2 / La place du chien

Karine, lisant un dossier et vérifiant sur le corps du chien – « ASPECT GÉNÉRAL : Fortement charpenté, au rein court. La poitrine est bien bien descendue, les côtes bien développées ; le rein et l'arrière-main sont larges, puissants. » C’est exactement ça. « TEMPÉRAMENT : Intelligent, ardent et docile, il ne demande qu'à faire plaisir. Naturel amical, sans aucune trace d'agressivité, compagnon fidèle. » C’est tout à fait toi Sherkan. « TÊTE et CRÂNE : Crâne large, stop marqué. La truffe est large, les narines bien développées. » Je sais pas ce que c’est leur « stop », mais le reste correspond. « YEUX : De dimension moyenne, exprimant l'intelligence et le bon caractère. De couleur marron ou noisette. » Oui, tu as des yeux magnifiques mon Sherkan, noisette avec de belles incrustations dorées… (Silvain rentre sans que Karine s’en aperçoive, et assiste à la scène) « Les mâchoires et les dents sont fortes, et présentent un articulé en ciseaux parfait. C'est-à-dire que les incisives supérieures recouvrent les inférieures dans un contact étroit et sont implantées bien d'équerre par rapport aux mâchoires. » Ouvre la gueule Sherkan, ouvre, là, je ne vais pas te faire mal. Ça a l’air d’être ça, articulé en ciseaux, incisives en équerre, hop, ça marche.

Silvain – Qu’est-ce que tu fais ?

Karine – Une petite inspection de Sherkan. Tu veux bien m’aider ? Tu lis ça et moi je vérifie

Silvain, lisant – « COU : Net, puissant et solide, s'insérant dans les épaules bien placées. CORPS : Poitrine bien large et bien descendue avec des côtes en plein cintre. Le rein est large, court et fort.» C’est quoi ce charabia ?

Karine – Une description du parfait labrador. [...]