texte de Juliette Pourquery de Boisserin

Ce texte a paru dans le numéro 3 de la revue Du nerf, Rennes, mai 2006.
directeur de publication  : Régis Guigand

 

Extrait :

Je m’installe dans une rangée presque vide, je suis un peu en avance. Puis, le flot s’installe aussi, peu à peu. Une vieille dame vient se coller juste à côté de ma chaise. L’espace s’annonce saturé, bruissant. Chacun trouve au fur et à mesure sa chaise et s’assoie. Je suis assise, les bras croisés sur mon ventre. J’attends. J’essaie d’occuper davantage le bord droit de ma chaise pour être moins proche de la vieille venue me coller, pile me coller, et il n’y a personne à ma droite. Je m’oriente discrètement de ce côté. Deux rangées devant la mienne, tout un banc de jeunes filles alignées comme des hirondelles sur un fil électrique. Toutes très bien habillées, toutes aux chevelures épaisses très bien coiffées, toutes en beige, en blanc, en bleu marine. Orange, un foulard en soie entoure le cou de l’une, orange. Tous les petits sacs à main déposés aux pieds des chaises paillées, tranquillement. Ça commence. Avec l’orgue et le chœur des bénévoles pour l’occasion. C’est alors qu’elle commence à chanter, elle aussi, je ne l’avais pas oubliée. Je perçois ses sons le long de son manteau marron en peau douce, daim, avec les manches en peluche, mousseuses. J’ai envie de caresser ses manches en mousse d’agneau, plus foncées. La voix des vieilles, c’est l’éternelle voix des vieilles. La voix d’usure claire dans les chants d’habitude. Voix capables, sans broncher des notes les plus aiguës. Voix justes, à toutes épreuves, des anciens catéchismes. Voix aux accents tannés du cœur des refrains vieux de la vie entière qu’elles portent dans leurs cordes. La voix d’usure claire dans les chants d’habitude. Des mauvaises mélodies intraitables et automatiques. Voix aux accents tannés du cœur des refrains vieux de la vie entière qu’elles portent dans leurs cordes. Elle chante juste, des brins de paille fendus au fond de sa vieille gorge, elle nasille et respire, de mémoire. Elle respire par cœur. Tout entier, le chant contenu dans le long manteau marron qui enveloppe son corps de brebis. Elle a mis son sac en bandoulière sur le dossier de la chaise d’en face où il n’y a personne. Les hirondelles, devant, s’agitent, le temps de s’installer vraiment, et font des signes à un groupe de garçons en pulls marins qui se tiennent dans la travée d’à côté.

 

 

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